Cinq ans après leur formulation, les aspirations de la jeunesse marocaine concernant la santé, l'éducation, l'emploi et la culture, recueillies lors des séances d'écoute de la Commission spéciale sur le modèle de développement en 2020, conservent une résonance frappante. Pour saisir pleinement les racines de la colère actuelle des jeunes, il est éclairant de (re)découvrir ce document précieux, dont la pertinence perdure.
En effet, il y a cinq ans déjà, les paroles recueillies lors de ces consultations faisaient écho aux revendications aujourd'hui portées par la GenZ. Dans le cadre de l'élaboration du Nouveau Modèle de Développement (NMD), une vaste opération d'écoute citoyenne avait été déployée en 2020, impliquant toutes les parties prenantes, et notamment les jeunes. Cette initiative ciblait les jeunes Marocains âgés de 15 à 30 ans. Elle avait permis de collecter plus de 3 350 contributions auprès de lycéens et d'étudiants issus des douze régions du Royaume et de quinze universités. Des ateliers spécifiques avaient également réuni une centaine de jeunes engagés dans les sphères associative, politique et culturelle, afin d'approfondir la réflexion sur leur inclusion socio-économique, leur participation citoyenne et les modalités de leur expression culturelle.
Ces consultations avaient offert une tribune à une génération désireuse d'exprimer ses aspirations, ses préoccupations et ses propositions concrètes. Le rapport de la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD) en avait dressé une synthèse limpide : la jeunesse marocaine aspire à une autonomie économique accrue, à une éducation équitable et de qualité, à un accès juste au marché du travail, à des espaces propices à l'expression culturelle, et, par-dessus tout, à une participation effective aux décisions qui façonnent son futur. Il apparaît crucial de revisiter ces propositions formulées en 2020, car bon nombre des revendications actuelles se trouvaient déjà consignées avec force et clarté dans le rapport du NMD.
Au premier rang de leurs attentes figurait l'accès à une autonomie économique renforcée, considérée comme la clé de voûte de l'inclusion sociale et de la participation citoyenne. Pour y parvenir, les jeunes réclamaient l'obtention de moyens concrets : compétences actualisées, expériences valorisantes et ressources financières adéquates. Un paradoxe frappant émergeait toutefois de ces échanges : malgré un fort sentiment d'appartenance à la nation, ils partageaient une perception unanime d'une discrimination sociale omniprésente. Que ce soit au sein du système éducatif, dans l'accès aux soins de santé, à la culture ou, plus particulièrement, sur le marché du travail, cette inégalité des chances était vécue comme une source majeure de découragement et un puissant facteur incitant à l'émigration.
L'éducation et la formation étaient identifiées par les jeunes comme des obstacles majeurs à leur pleine inclusion socio-économique. Un constat récurrent soulignait le manque d'adéquation entre les parcours de formation et les exigences du marché de l'emploi. Par ailleurs, la qualité des contenus pédagogiques et des infrastructures d'apprentissage était jugée inégale, une disparité que la pandémie de COVID-19 avait cruellement accentuée en révélant les inégalités d'accès aux outils numériques, limitant ainsi l'efficacité de l'enseignement à distance malgré sa reconnaissance.
Quant au marché du travail, les jeunes mettaient en exergue une réalité complexe : il était perçu comme particulièrement difficile d'accès, notamment pour les diplômés. L'exigence systématique d'une expérience préalable, souvent inatteignable pour les primo-demandeurs, constituait une barrière majeure. Plus préoccupante encore était la dénonciation d'une préférence accordée aux relations personnelles et familiales, au détriment manifeste du mérite et des compétences. Face à ces défis, la jeunesse avait formulé des propositions concrètes pour stimuler son inclusion : elle suggérait la mise en place de programmes de mentorat et de coaching, le développement de l'entrepreneuriat et de l'innovation, une facilitation de l'accès au financement pour les jeunes porteurs de projets, et une promotion accrue de la formation professionnelle et de l'alternance.
Par ailleurs, et bien que ce point ne figure pas parmi les revendications directes des manifestations actuelles de la GenZ, la jeunesse marocaine consultée en 2020 avait vivement exprimé son besoin crucial d'espaces d'expression culturelle et artistique. Les constats étaient sans appel : les infrastructures culturelles étaient jugées insuffisantes, excessivement centralisées et peu adaptées aux besoins, tandis que le soutien aux jeunes artistes et créateurs faisait cruellement défaut. En réponse, des propositions concrètes avaient été avancées pour transformer ces lieux en espaces ouverts, dynamiques et accessibles, notamment par la décentralisation des infrastructures, le soutien actif à la création artistique et aux initiatives locales, ainsi que l'intégration de l'éducation artistique et culturelle dans les programmes scolaires.
Alors que l'on reproche parfois à la jeunesse actuelle de ne pas s'engager dans les cadres institutionnels ou politiques, il est essentiel de se souvenir qu'il y a cinq ans, ces mêmes jeunes avaient clairement identifié trois obstacles majeurs à leur participation citoyenne et politique : une profonde méfiance envers les institutions et les partis, le sentiment de ne pas être réellement pris au sérieux, et un manque criant de transparence dans les processus décisionnels. Pour y remédier, leurs propositions s'orientaient vers une refonte structurelle, incluant l'instauration de mécanismes de consultation et de dialogue réguliers, le renforcement de leur représentativité au sein des instances décisionnelles, et une sensibilisation précoce à l'engagement civique dès le plus jeune âge.
En 2020, toutes ces attentes et propositions avaient été minutieusement consignées dans le rapport du NMD, dessinant ainsi une feuille de route explicite pour une meilleure inclusion de la jeunesse dans le développement national. Pourtant, cinq ans plus tard, le constat est sans appel : bon nombre de ces préoccupations fondamentales demeurent d'une actualité brûlante. L'éducation persiste à être inégalitaire, l'accès à l'emploi est encore largement perçu comme entaché de népotisme, les espaces culturels restent désespérément insuffisants, et la confiance envers les institutions demeure fragile. Les manifestations récentes des jeunes, portées par les revendications en matière de santé et d'éducation, agissent comme un rappel éloquent : leur voix, exprimée il y a cinq ans, n'a manifestement pas été suffisamment écoutée ni traduite en actions concrètes.